Résumé
La synthèse de 240 analyses isotopiques du plomb, mesurées sur les gisements miniers marocains d’âges édiacarien à néogène appartenant à tous les domaines géotectoniques du Maroc autorise une réflexion globale sur la métallogénie du Maroc. Les compositions isotopiques varient grandement, de 17,738 (Bou Skour) à 18,905 (Draa Sfar) pour le rapport 206Pb/204Pb, et de 15,521 à 15,706 pour le rapport 207Pb/204Pb. La source du plomb des gisements étudiés se situe dans la croûte continentale supérieure, excepté pour ceux de l’Anti-Atlas (Bou Skour, Imiter…) et certains du Haut-Atlas (Azegour) à nette contribution du manteau. Les variations isotopiques relevées à l’échelle d’un district résultent soit de la présence de plusieurs événements hydrothermaux superposés sollicitant différentes sources locales comme à Tighza, soit d’un seul événement perturbé par la segmentation d’un bassin volcanosédimentaire, comme pour les amas sulfurés des Jebilet et Guemassa. À l’échelle du gisement (Draa Sfar, Bou Skour), les variations isotopiques résultent de la superposition de plusieurs événements hydrothermaux avec chacun leur propre plomb et métaux associés. Globalement, on peut distinguer trois générations de plomb incorporées successivement dans le socle géologique marocain par le magmatisme et/ou l’hydrothermalisme, caractérisées par leurs rapports 206Pb/204Pb : 17,74–17,90 (panafricain), 18,10–18,40 (hercynien) et 18,75–18,90 (alpin). Le plomb panafricain est présent dans l’Anti-Atlas, et très localement dans la Meseta (Bouznika), et se nourrit en partie du magmatisme mafique du Gondwana. Le plomb hercynien est le plus représenté et affiche une rupture définitive dans la source des métaux dès lors exclusivement crustale. Il envahit tous les domaines marocains, y compris l’Anti-Atlas, où il remobilise et se mélange avec le plomb panafricain. Le plomb alpin, plus discret, jalonne la large écharpe allant d’Agadir à Nador qui trace en surface le panache mantellique des Canaries et accompagne un magmatisme néogène qui peut aussi avoir agi comme simple moteur remobilisant le plomb hercynien, notamment pour former les gisements MVT de Touissit. Les plombs hercynien et alpin sont en partie responsables du rajeunissement des minéralisations néoprotérozoïques, comme à Bou Azzer ou Imiter. Le Maroc illustre le modèle de Sawkins avec un apport majeur du plomb lors du magmatisme fini-orogénique. Les résultats isotopiques plaident en faveur de remobilisations successives du plomb stocké dans des réservoirs primaires et secondaires avec des phénomènes d’héritage. Enfin le bon transfert de la signature isotopique du plomb des gisements aux gossans de surface, notamment pour les gisements stratiformes de sulfures polymétalliques de type Hajar, montre que la géochimie isotopique du plomb est un outil utilisable pour l’exploration minière au Maroc.
Abstract
The synthesis of 240 lead isotopes analyses, measured on Moroccan ore deposits of Ediacarian to Neogene ages located in all geotectonic domains of Morocco allows a global reflection on the metallogeny of Morocco. The isotopic compositions vary widely, from 17.738 (Bou Skour) to 18.905 (Draa Sfar) for the 206Pb/204Pb ratio, and from 15.521 to 15.706 for the 207Pb/204Pb ratio. The source of lead in the studied deposits is located in the upper continental crust, except for those in the Anti-Atlas (Bou Skour, Imiter, etc.) and some in the High Atlas (Azegour) with a clear mantellic contribution. Isotopic variations noted at the scale of a district result either from the presence of several superimposed hydrothermal events calling upon different local sources as at Tighza, or from a single event disturbed by the segmentation of a volcanosedimentary basin, as for the Jebilet and Guemassa ore deposits. At the scale of the deposit (Draa Sfar, Bou Skour), isotopic variations result from the superposition of several hydrothermal events each with their own lead and associated metals. Overall, we can distinguish three generations of lead incorporated successively into the Moroccan geological basement by magmatism and/or hydrothermalism, characterized by their 206Pb/204Pb ratios: 17.74–17.90 (Panafrican), 18.10–18.40 (Hercynian) and 18.75–18.90 (Alpine). Panafrican lead is present in the Anti-Atlas, and very locally in the Meseta (Bouznika), and feeds in part on the mafic magmatism of Gondwana. Hercynian lead is the most represented and displays a definitive rupture in the source of metals, which is now exclusively crustal. It invades all Moroccan areas, including the Anti-Atlas, where it re-mobilizes and mixes with the panafrican lead. Alpine lead, more discreet, marks out the large scarf going from Agadir to Nador which traces on the surface the mantle plume of the Canaries and accompanies a Neogene magmatism which may also have acted as a simple engine remobilizing Hercynian lead, in particular to form MVT deposits from Touissit. The Hercynian and Alpine lead influxes are partly responsible for resetting the Neoproterozoic mineralization, as at Bou Azzer or Imiter. In the Sawkins’s model, lead isotopic results support successive remobilisations of lead stored in primary and secondary tanks, as well as inheritance phenomena. Finally, the good transfer of the isotopic signature of lead from ore deposits to surface gossans shows that the isotopic geochemistry of lead is a useful tool for mineral exploration in Morocco, moreover for stratiform polymetallic sulphides ore deposits of Hajar type.
Introduction
Le Maroc est un puzzle de domaines géologiques très différents, assemblés par au moins trois orogènes successifs : panafricain, hercynien et alpin. Parallèlement à ces événements géologiques, de nombreux gisements minéraux de différents types se sont formés, activement exploités et étudiés depuis de nombreuses années. Les gisements polymétalliques à plomb et les gisements plombifères appartenant à des types métallogéniques variés sont particulièrement nombreux au Maroc qui fut le plus grand producteur de plomb en Afrique dans la seconde moitié du XXe siècle (Emberger, 1968).
Cependant, pour la plupart de ces gisements, des questions majeures concernant leur genèse et en particulier la source des métaux, sont encore débattues. Le sujet de cet article est de mieux comprendre la genèse de ces gisements, leurs sources et leurs parentés éventuelles, et de les replacer dans leur contexte géodynamique en utilisant les données sur les isotopes du plomb, disponibles dans la littérature et complétées par de nouvelles analyses. Nous pouvons ainsi reconstruire l’histoire de la mobilisation des sources de plomb au cours des différentes orogènes sur la marge du craton Ouest-africain.
Les isotopes du plomb ont été largement utilisés pour tracer les sources des minéralisations (Doe et Zartman, 1979 ; Zartman et Doe, 1981 ; Marcoux, 1987). Le concept de « plumbotectonics », traduit ici par le terme de « plombotectonique », repose sur l’évolution isotopique du plomb dans différents environnements géologiques, et notamment la croûte supérieure, la croûte inférieure et le manteau. De nombreux travaux de plombotectonique ont été réalisés depuis lors. Dans la plupart des provinces plombifères du monde, le plomb est d’origine crustale : c’est le cas notamment dans les Calédonides scandinaves (Billström et al., 1997), les Variscides européennes (Marcoux et Jébrak, 1987 ; Bau et al., 2003 ; Slobodník et al., 2008), la partie orientale de la chaîne d’Asie centrale (Wang et al., 2020) et jusqu’au Japon (Doe et Zartman, 1982). Dans ce contexte crustal, Sawkins (1989) a montré que le plomb des gisements géants des bassins protérozoïques postérieurs à 1,8 Ga aurait été hérité du magmatisme anorogénique d’âge protérozoïque moyen, un réservoir primaire riche en feldspaths et anomal en plomb. Pour les gisements phanérozoïques, Sawkins (1989) souligne que la disponibilité de plomb dans la croûte supérieure était alors considérablement plus grande. Des analyses isotopiques in situ sur le gisement géant de McArthur River ont validé ce modèle (Gigon et al., 2020).
Les gisements porphyriques supra-subduction montrent une évolution plus complexe, avec une extraction de plomb depuis la croûte fini-archéenne par des fluides de la subduction (Pettke et al., 2010). Les gisements en contexte d’accrétion font cependant exception et montrent une contribution du manteau, ainsi qu’on l’a observé par exemple dans les amas sulfurés océaniques de Chypre (Spooner et Gale, 1982), la zone d’Ossa Morena des Variscides ibériques (Tornos et Chiaradia, 2004) et les gisements de type Besshi au Japon (Doe et Zartman, 1982).
Par la diversité de ses orogènes à la marge nord du craton précambrien d’Afrique de l’Ouest, le Maroc constitue donc un terrain exceptionnel pour apprécier les apports relatifs en plomb de la croûte et du manteau depuis le Protérozoïque et tester ainsi le modèle d’héritage de Sawkins.
Géologie et métallogénie du Maroc
Cinq grands domaines géologiques sont distingués au Maroc (Michard et al., 2011) :
le craton ouest-africain, comprenant la dorsale de Reguibat, est un assemblage complexe de domaines métamorphiques et granitiques datés entre 3 Ga et 2 Ga (Eburnéen), entourés de bassins néoprotérozoïques et paléozoïques ;
les Mauritanides marocaines, une étroite bande de terrains précambriens et paléozoïques charriés sur le craton lors de l’orogène hercynien ;
l’Anti-Atlas à couverture paléozoïque plissée lors de l’orogène hercynien et s’enroulant autour d’anticlinaux précambriens affectés par l’orogenèse panafricaine vers 650 Ma ; la couverture comprend le vaste volcanisme felsique de la formation de Ouarzazate, précurseur de la fragmentation éopaléozoïque ;
le domaine Atlas-Meseta, avec un socle paléozoïque (et localement précambrien) largement recouvert de formations mésozoïques-cénozoïques, plissé dans les domaines atlasiques (Haut Atlas et Moyen Atlas) et tabulaire dans le domaine mésétien ;
la cordillère du Rif, contemporaine des domaines atlasiques mais de nature très différente, une orogenèse de subduction suivie par une collision avec suture océanique et chevauchements de grande ampleur.
Les gisements minéraux sont très nombreux dans ces différents domaines et s’étalent du Protérozoïque au Tertiaire (Fig. 1). L’Anti-Atlas est le plus riche en métaux de base et précieux et le plus activement exploité. Les mines les plus importantes sont Bou Azzer (Co, Ni, Ag), au sein d’une ophiolite, Imiter (Ag), Bou Skour (Cu) et Akka (Au), et les mines abandonnées y sont nombreuses, telle Imini (Mn). Les formations cénozoïques de la Meseta abritent les grands gisements de phosphates qui ne sont pas pris en compte dans cet article.
La Meseta possède d’importants gisements liés à plusieurs événements géologiques relevant des orogènes hercynien et alpin. Le volcanisme namurien a généré des gisements de sulfures massifs stratiformes de type VMS dans les Jebilet et Guemassa, près de Marrakech (Draa Sfar, Hajar, Kettara, Koudiat Aicha…), tandis que le plutonisme tardi-hercynien (270–290 Ma) est responsable du skarn de Mo-W-Cu d’Azegour, des gisements d’étain d’Achmach et d’Oulmès au sud de la mine d’El Hammam, ainsi que de la minéralisation aurifère de Tighza (ou Jebel Aouam). L’hydrothermalisme post-hercynien (entre 250 et 200 Ma) a généré de puissants filons d’importance économique à El Hammam (fluorite) et aussi à Jebel Aouam (ou Tighza) à plomb, argent et zinc. Des circulations ultérieures de fluides de bassin ont permis la formation de minéralisations à Pb-Ag-Zn dans tout le Moyen Atlas (Aouli, Mibladen, Zeïda dans le district de la Haute-Moulouya), ainsi que Touissit–Bou Beker–El Abed, dont la genèse serait très récente aux alentours de 15 Ma (Bouabdellah et al., 2012). La zone du Rif semble moins riche en gisements métalliques, les seuls notables étant l’essaim de skarns ferrifères du district de Nador (Ouiksane, Axara, Setolazar), associés à de petits filons épithermaux de Pb-Ag (Afra).
Plus de 200 analyses isotopiques de plomb étaient disponibles dans la littérature (Fariss, 1992 ; Pasava, 1994), Touahri, 1997 ; Jébrak et al., 1998, 2011 ; Watanabe, 2002 ; Marcoux et Wadjinny, 2005 ; Marcoux et al., 2008, 2015, 2019 ; Bouabdellah et al., 2009, 2012 ; Lebret, 2014 ; Rddad et Bouhlel, 2016 ; Rossi et al., 2017), auxquelles s’ajoutent des rapports inédits que nous avons pu utiliser (Edwards, 1989 ; Marcoux, 1993). Nous avons complété ces données par une quarantaine de nouvelles analyses, soit sur des gisements peu ou pas étudiés de ce point de vue (Bou Skour, Mekta), soit en complément sur des districts majeurs (Jebilet, Imiter), soit enfin sur des gossans à des fins d’exploration minière (Jebilet et Guemassa), totalisant ainsi plus de 240 analyses (Tab. 1). La plupart des analyses ont été réalisées sur des galènes microprélevées sur sections polies, quelques autres sur des sulfures polymétalliques à galène réduits en poudre, d’autres sur gossans, ou chapeaux de fer, associés à divers gisements, principalement de type VMS, d’autres enfin sur des roches. Ces échantillons sont représentatifs des gisements, pour la plupart bien étudiés, et, dans la mesure où les données existaient, positionnés dans la succession paragénétique pour les minéralisations complexes. Quand elle a été mesurée, la teneur en Pb des gossans et des sulfures polymétalliques est souvent élevée à très élevée. Le rapport μ (238U/204Pb) est donc très faible, ce qui ne nécessite aucune correction pour la décroissance radioactive in situ. Peu de roches semblent avoir été analysées pour les isotopes du plomb au Maroc : le seul ensemble de données important concerne les roches volcaniques néogènes du district de Nador (Duggen et al., 2005). À notre connaissance, aucune donnée sur les isotopes du plomb n’est disponible pour les roches de la crête de Reguibat et du craton ouest-africain.
Intérêt de la géochimie isotopique du plomb en métallogénie : quelques rappels
Le plomb commun se compose de 4 isotopes stables (204Pb, le seul entièrement primordial, 206Pb, 207Pb et 208Pb), dont les proportions varient selon l’âge et le milieu d’origine considéré. L’uranium et le thorium se désintégrant en plomb (238U en 206Pb, 235U en 207Pb et 232Th en 208Pb), les quantités de ces 3 isotopes augmentent avec le temps, faisant ainsi évoluer la composition isotopique du plomb terrestre.
Les isotopes de plomb jouent de ce fait un double rôle de traceur de source et de chronomètre géologique et furent très tôt appliqués aux gisements minéraux (Heyl et al., 1966 ; Doe, 1970 ; Doe et Delevaux, 1972). Mais ce n’est pas si simple… L’article fondateur de Stacey et Kramers en 1975 (cité 9157 fois au 20 février 2021 !) avait établi la « courbe de croissance normale » à deux stades d’évolution, une asymptote théorique qui dessine l’évolution du plomb terrestre depuis 4,57 Ga jusqu’à l’Actuel, construite à partir des compositions de 13 galènes et 23 feldspaths d’âges connus. Doe et Zartman (1979), puis Zartman et Doe (1981), avaient prolongé ce travail en montrant que chaque grand réservoir terrestre (manteau, croûte inférieure, croûte supérieure) avait sa propre courbe d’évolution du plomb, la courbe « orogène » qui associe manteau et croûte dans des fusions à grande échelle, étant une moyenne très proche de la courbe de Stacey–Kramers. Ces milieux se caractérisent notamment par leurs teneurs variables en uranium, thorium et plomb, exprimés par les rapports μ (238U/204Pb) et W (232Th/204Pb).
La courbe de Stacey–Kramers étant graduée en âges, la position d’une composition isotopique sur cette courbe donne, en théorie, l’âge de l’échantillon considéré et donc du gisement qui le porte. Cependant, cette courbe est une moyenne mathématique établie à l’échelle planétaire et qui ne prend pas en compte les contextes géologiques régionaux. Et le plomb actuel est une moyenne de 160 échantillons de basaltes d’arcs insulaires, de sédiments océaniques et de nodules manganésifères. Les âges calculés à partir de la position sur cette courbe théorique sont donc des âges « modèles », théoriques, parfois notablement différents des âges géologiques vrais, notamment dans le cas de remobilisations. Ces âges « modèles » ont leur utilité mais ne peuvent rivaliser ni en justesse ni en précision avec les datations par les radiochronomètres basés sur les couples U/Pb, Re/Os ou Ar/Ar par exemple. De plus, une majorité de compositions isotopiques s’écarte de cette courbe, le calcul de l’âge modèle fait alors appel à des isochrones qui admettent un système (U-Th-Pb) clos, une hypothèse impossible à vérifier.
Les informations sur le milieu d’évolution sont beaucoup plus pertinentes car les isotopes du plomb tracent la source du plomb à deux niveaux. À grande échelle, les grands réservoirs terrestres (manteau et croûtes supérieure et inférieure) ont leurs propres spécificités isotopiques pour U, Th et Pb, exprimées par des rapports μ différents (9,74 pour la courbe de Stacey–Kramers, 11,32 et 8,35 respectivement pour les courbes Orogène et Manteau de Zartman–Doe) et W (36,84 pour Stacey–Kramers). Les isotopes du plomb permettent ainsi d’identifier les milieux-sources et de quantifier leurs éventuels mélanges (Zartman et Haines, 1988). À une échelle plus fine, l’identification de la roche-source est possible par comparaison entre la composition isotopique du plomb du gisement concerné et celles des roches sources possibles. Là encore, on procède par analogie. La roche qui possède une composition identique à celle de la minéralisation est probablement celle qui a été lessivée par les fluides à l’origine de la minéralisation. Il faut bien sûr considérer la composition isotopique des roches lors de la mise en place de la minéralisation, ce qui implique de connaître, au moins approximativement, leurs âges respectifs. Cette recherche de source se complique jusqu’à devenir insoluble dans un contexte géologique complexe avec un grand nombre de roches-sources potentielles, la minéralisation pouvant résulter d’un mélange de plombs issus de plusieurs roches. Lorsque les études ne démontrent pas l’inverse, la source du plomb est généralement étendue aux autres métaux de comportements proches (zinc, cuivre, argent, or…). Malgré ses limites, c’est ce rôle de traceur géochimique que nous avons surtout développé dans cet article.
Procédures analytiques
Les analyses isotopiques ont été effectuées dans différents laboratoires et les procédures d’analyse ne sont pas toujours décrites dans les publications. Néanmoins, la procédure est toujours similaire, ou très proche de celle résumée ici, réalisée pour l’étude isotopique de Draa Sfar (Marcoux et al., 2008) par B. Cousens, Université Carleton (Ottawa, Canada). Entre 10 et 20 mg de sulfures sont réduits en poudre puis dissous dans du HNO3 7N. Le résidu est repris dans du HBr 1 N pour la chimie du plomb. Le plomb est séparé dans des colonnes de polyéthylène Bio-Rad de 10 ml par une résine anionique Dowex AG1-8X, en utilisant du HBR 1 N pour éluer les autres éléments et du HCl 6 N pour éluer le plomb. Le total des blancs de procédure pour Pb est < 250 pg. Les échantillons sont chargés sur des filaments de Re simples avec H3PO4 et du gel de silice, et les analyses réalisées à des températures du filament de 1175 à 1225 °C, une constance de température qui permet des effets de fractionnement identiques entre standards et échantillons et donc des corrections du fractionnement rigoureuses. Les analyses du standard USGS BCR-1 donnent : Pb = 13,56 ppm, U = 1,70 ppm, Th = 5,86 ppm, 206Pb/204Pb = 18,818, 207Pb/204Pb = 15,633, et 208Pb/204Pb = 38,633 (moyenne de deux enregistrements, voir Tatsumoto et al., 1972). Toutes les analyses ont été corrigées pour le fractionnement à l’aide du NIST SRM 981. Les rapports moyens mesurés pour le SRM 981 sur le spectromètre de masse Triton sont (moyenne de quinze enregistrements) : 206Pb/204Pb = 16,892 ± 0,10, 207Pb/204Pb = 15,432 ± 0,13 et 208Pb/204Pb = 36,512 ± 0,38 (2 σ). La correction de fractionnement, basée sur les valeurs de Todt et al. (1984), est + 0,13 %/amu.
Résultats
Pour une meilleure lecture, les résultats sont présentés par grands domaines géotectoniques.
Gisements de l’Anti-Atlas
La chaîne de l’Anti-Atlas occupe une position particulière entre deux domaines structuraux majeurs : un domaine nord appartenant à la ceinture panafricaine mobile, et un domaine sud faisant partie de la ceinture éburnéenne du Craton Ouest-africain. Il est principalement composé de boutonnières protérozoïques affleurant des deux côtés de la faille centrale de l’Anti-Atlas et recouvertes par des formations néoprotérozoïques et paléozoïques. Tout le domaine de l’Anti-Atlas est affecté par la déformation hercynienne et l’orogenèse alpine.
Le Protérozoïque constitue le socle de l’Anti-Atlas. La plupart des unités appartiennent au Protérozoïque moyen (Birrimien ou Orosirien, autour de 2 Ga), alors que des plutons appartenant au Paléoprotérozoïque supérieur ont été reconnus dans la partie occidentale de l’Anti-Atlas (Michard et al., 2011). La série commence par les formations protérozoïques marquant la rupture du craton ouest africain vers 800 Ma. L’extension induit la formation d’un petit océan à Bou Azzer, avec arc insulaire et faciès turbiditiques. Un important plutonisme calco-alcalin se manifeste à partir de 615 Ma (groupe de Ouarzazate), suivi d’une transgression infracambrienne–cambrienne majeure (Azizi-Samir et al., 2001) marquée par des séries clastiques et des intrusions marines jusqu’au Protérozoïque inférieur (Thomas et al., 2004). L’exhumation des boutonnières anticlinales du Précambrien le long de l’axe de l’Anti-Atlas s’est produite à la faveur de l’érosion de leur couverture paléozoïque lors du Carbonifère supérieur–Permien, juste après l’orogenèse hercynienne qui a raccourci l’ensemble du domaine en une puissante ceinture intracratonique. Cet événement est marqué par de nombreux âges autour de 300 Ma (Bonhomme et Hassendorfer, 1985 ; Gasquet et al., 2004).
L’Anti-Atlas abrite des gisements nombreux et variés : or (Tiouit), argent (Imiter, Zgounder), cuivre (Bou Skour et Bleida), cobalt et nickel (Bou Azzer), manganèse (Tiouine), et polymétalliques (Bou Madine). La plupart relèvent de l’orogenèse panafricaine (685–540 Ma) ou de la réactivation tardive, essentiellement hercynienne, du socle.
Imiter et Zgounder
Le gisement d’Imiter Ag-Hg (8,5 Mt à 700 g/tAg) figure parmi les plus importants du Maroc (Cheilletz et al., 2002) et dans les dix premiers gisements d’argent dans le monde. La minéralisation comprend des amalgames Ag-Hg, de l’argent natif, des sulfosels d’argent et divers sulfures d’As-Pb-Zn-Co-Ni. Le corps minéralisé est contrôlé structuralement par la faille normale d’Imiter. Plusieurs épisodes de minéralisation liés à différents événements tectoniques sont présents mais l’origine de cet énorme gisement est encore largement débattue (Essaraj et al., 2016 ; Levresse et al., 2016 ; Tuduri et al., 2018). La minéralisation en argent s’est formée vers 550 Ma lors d’un événement régional extensif ; elle est portée par une série de roches felsiques volcaniques (Tuduri et al., 2006). Imiter et Zgounder ont été interprétés comme des gisements épithermaux neutres (Cheilletz et al., 2002 ; Marcoux et Wadjinny, 2005), datés à 564 ± 15 Ma (Zgounder) et 550 ± 3 Ma (Imiter, âge de la rhyolite associée de Takhatert ; Cheilletz et al., 2002 ; Pelleter et al., 2008 ; Levresse et al., 2004). Cependant, à Imiter, des minerais dans la partie supérieure de la série paléozoïque ont fourni une datation K/Ar sur adulaire de 254,7 ± 3,2 Ma, suggérant la mise en place tardive d’une partie de la minéralisation, ou du moins un reset thermique (Soulaimani et al., 2014).
Dans le massif du Sirwa, le petit gisement Ag-Hg de Zgounder présente de grandes similitudes avec Imiter. Il est encaissé dans la série volcanosédimentaire protérozoïque de Ouarzazate et montre une minéralisation disséminée dominée par de l’argent natif mercurifère, avec peu de sulfosels d’argent, d’arsénopyrite et de sulfures de métaux de base. Les compositions isotopiques de la galène sont proches à 17,89 (206Pb/204Pb) et 15,57 (207Pb/204Pb), des valeurs qui donnent un âge modèle vers 510 Ma dans le modèle de Stacey–Kramers (1975), avec μ = 9,74 (Fig. 2), ce qui correspond bien à l’âge protérozoïque tardif du gisement (Marcoux et Wadjinny, 2005). La position des compositions par rapport aux courbes de croissance du plomb montre que la source métallique se situe dans la croûte continentale, sans contribution visible du manteau (Fig. 2).
À Imiter, la galène est rare et ses compositions isotopiques assez dispersées. À l’exception de trois échantillons assez fortement radiogéniques (206Pb/204Pb = 18,24, 18,46 et 18,52), les rapports s’étalent de 17,99 à 18,17 (206Pb/204Pb) et de 15 532 à 15 595 (207Pb/204Pb), donnant des valeurs du rapport µ (10,12 à 10,23 avec 550 Ma) caractéristiques de la croûte continentale supérieure (Fig. 2). Ces rapports sont trop radiogéniques pour un gisement d’âge néoprotérozoïque et nous considérons qu’ils tracent une ligne de mélange entre une signature isotopique peu radiogénique (206Pb/204Pb très probablement proche de Zgounder vers 17,90) et un plomb plus récent à l’origine des rapports plus radiogéniques mesurés, et vraisemblablement apporté par l’épisode hydrothermal permien daté vers 254,7 Ma (Soulaimani et al., 2014).
Bou Azzer
La boutonnière de Bou Azzer-El Graara est un fragment d’une ceinture orogénique panafricaine située dans le socle du protérozoïque, recouvert de terrains discordants infracambriens à paléozoïques (Azizi-Samir et al., 2001). Il contient des gisements de cobalt-arsenic de type filonien avec de l’or en sous-produit, des chromitites podiformes et le gisement de cuivre de Bleida.
Les minerais de Co-Ni-As-(Au) du district de Bou Azzer sont portés par des zones de cisaillement très pentées proches des serpentinites. Le district a produit environ 1600 t de cobalt en 2008 avec des sous-produits importants tels que le nickel, l’or et l’arsenic, tous extraits d’un minerai contenant principalement des arséniures et des sulfoarséniures de Co-Ni-Fe à des teneurs de 1 % Co, 1 % Ni et 3–4 g/t Au (Maacha, 2013 ; Bouabdellah et al., 2016b). Sa genèse reste très discutée et différentes méthodes isotopiques ont été employées pour dater le gisement. Les carbonates et la brannérite ont donné des âges respectifs de 308 ± 31 Ma (Sm-Nd) et 310 ± 5 Ma (U-Pb), ce dernier étant considéré comme le meilleur et le plus précis des âges obtenus sur la minéralisation (Oberthür et al., 2009). Il établit donc un âge hercynien tardif pour Bou Azzer, bien qu’un début de minéralisation plus précoce ne puisse être écarté, et que certains auteurs voient une histoire métallogénique qui se prolonge jusqu’au Trias (Bouabdellah et al., 2016b).
La galène est très rare dans ce gisement et des tentatives d’analyse isotopique sur le minerai global ont donné des rapports radiogéniques élevés irréalistes en raison d’un excès de plomb radiogénique. Un seul échantillon assez riche en galène a donné une composition isotopique réaliste à 18,104 (206Pb/204Pb), 15,586 (207Pb/204Pb) et 38,153 (208Pb/204Pb), en bon accord avec un âge hercynien, dont les rapports 207Pb/204Pb et 208Pb/204Pb semblent écarter une contribution mantellique (Fig. 2).
Bou Skour
Le gisement de cuivre de Bou Skour est situé dans la partie occidentale du massif du Sarho (Anti-Atlas oriental), à environ 60 km à l’est de Ouarzazate. La mine est encaissée dans les roches magmatiques du groupe de Ouarzazate datée entre 570 et 557 Ma et a exploité, entre 1942 et 1975, un filon de cuivre de 7 km de long, avec des ressources totales estimées à plus de 53 millions de tonnes à 0,8 % Cu (Bouabdellah et al., 2016a).
Le secteur sud de la structure filonienne minéralisée est actuellement exploité par Managem qui a découvert une minéralisation disséminée à dominante de chalcopyrite, le « filon 2 », recoupée par des filonnets polymétalliques tardifs. Deux autres filons polymétalliques à plomb-zinc-cuivre, Agoulzi et Rhyolite, ont été exploités dans le passé. Une datation 187Re/188Os sur la molybdénite du stade principal à sulfures a fourni un âge de 574,0 ± 2,4 Ma, quasi contemporain de l’âge de cristallisation du granite de Bou Skour (Bouabdellah et al., 2016a).
Les analyses isotopiques du plomb ont été réalisées sur les principaux filons de cuivre, la chalcopyrite disséminée (« filon 2 ») ainsi que les filonnets polymétalliques tardifs (Fig. 2). Les compositions sont dispersées mais définissent trois champs distincts (Fig. 2) : 206Pb/204Pb de 17,73 à 17,80, de 17,85 à 17,98 et de 18,08 à 18,11, tous trois présents dans le filon Rhyolite. Ces compositions se situent nettement sous la courbe de Stacey–Kramers (1975) et la courbe orogène de Doe–Zartman (1979) dans le diagramme 207Pb/204Pb versus206Pb/204Pb, indiquant une nette contribution mantellique. À notre avis, ces trois champs montrent la présence de deux plombs différents (Pb 1 avec 206Pb/204Pb = 17,73 à 17,80 et Pb 2 = 18,08 à 18,11), dont le mélange constituerait le champ intermédiaire (206Pb/204Pb = 17,85 à 17,98) et donc l’expression à Bou Skour d’au moins deux événements hydrothermaux, parfois superposés au sein d’un même filon (filon Rhyolite), comme cela est connu dans des filons de l’Hercynien (Marcoux et Moëlo, 1991).
Bou Madine
Le gisement polymétallique de Bou Madine (Au, Ag, Zn, Pb, Cu, Sn) est situé au Sud-Ouest de Jbel Ougnat. Il s’agit d’un gisement néoprotérozoïque principalement associé à des dacites et rhyolites calco-alcalines de la formation de Tamerzaga-Timrachine (Abia et al., 2003), datées à 552 ± 5 Ma (Levresse et al., 2004). Cette unité est traversée par un essaim de dykes mafiques-felsiques et de dykes rhyolitiques. Bien qu’il présente de fortes similitudes avec un gisement épithermal neutre, la nature de ce gisement reste discutée (Bouabdellah et Levresse, 2016 ; Essaraj et al., 2016). Les analyses isotopiques du plomb, un peu anciennes, sont très étalées (17,57 à 17,93 pour 206Pb/204Pb, 15,43 à 15,79 pour 207Pb/204Pb, et 37,25 à 38,10 pour 208Pb/204Pb ; Duthou et al., 1976) et indiquent clairement un fractionnement aléatoire qui pénalise surtout les rapports 207Pb/204Pb. Malgré ce problème, les autres rapports indiquent néanmoins des compositions néoprotérozoïques nettes (Fig. 2).
Gisements de la Meseta
Le domaine mésétien est principalement composé d’un socle hercynien, recouvert d’une couverture carbonatée mésozoïque et cénozoïque. Le socle hercynien, formant de vastes massifs près de Marrakech (Jebilet et Guemassa) et au Sud de Meknès (Maroc central), est composé essentiellement de roches métasédimentaires et métavolcaniques d’âge cambrien à carbonifère avec des reliques de roches protérozoïques (Pereira et al., 2015). Le tout est recoupé par des plutons granitiques.
Le domaine de la Meseta contient des gisements métalliques d’âge, d’importances et de types variés, depuis le modeste SEDEX cambrien de Bouznika, près de Casablanca, aux grands gisements d’amas sulfurés de type VMS des Jebilet (Draa Sfar, Kettara, Koudiat Aicha) et Guemassa (Hajar) près de Marrakech. Des filons plus tardifs sont également exploités, notamment des filons de plomb-argent-zinc au Maroc central, à Jbel Aouam (ou Tighza), un district qui semble également posséder un potentiel aurifère important. Un puissant filon de fluorite est également exploité à El Hammam, près de filons et tourmalinites à étain (Achmach) récemment évalués (El Mahjoub et al., 2015). D’autres petits filons de plomb argentifère et fluorite ont été anciennement exploités (Jebel Zrahina). À Assif El Mal, des filons à zinc-plomb-(cuivre-argent) forment un système subvertical probablement mis en place lors de l’ouverture jurassique de l’océan Atlantique central (Bouabdellah et al., 2009).
Bouznika
Situé dans la Meseta hercynienne, le petit gite SEDEX à Pb-Zn-Cu-Ba de Bouznika est associé au complexe volcanique bimodal du Cambrien inférieur à moyen d’Oued Rhebar. La barytine forme des stockwerks et des lentilles stratiformes dans les tufs felsiques et les épiclastites. Les compositions isotopiques du plomb des deux galènes sont identiques (206Pb/204Pb = 17,885 et 17,875, 207Pb/204Pb = 15,566 et 15,566, 208Pb/204Pb = 37,640 et 37,615 ; Jébrak et al., 2011 ; Fig. 3). Ces compositions se positionnent sur la courbe orogène de Doe–Zartman (1979) et légèrement en dessous de celle de Stacey–Kramers (1975), suggérant que le plomb a été extrait d’un environnement géodynamique associant fortement croûte et manteau, ce qui exclut toute extraction de plomb d’un grand bassin sédimentaire. Les âges modèles calculés à l’aide du modèle de Stacey–Kramers (1975) vont de 520 à 540 Ma (avec μ = 9,74) et s’accordent très bien avec l’âge Cambrien inférieur à moyen des roches encaissantes. Ces résultats, alliés à la composition isotopique du soufre des sulfures (δ34S = + 31,1 à + 32,4 ‰), renforcent l’hypothèse d’une genèse syngénétique cambrienne du gisement de Bouznika, lorsque des fluides hydrothermaux enrichis en baryum, probablement d’origine volcanique, se mélangent au soufre de l’eau de mer (Jébrak et al., 2011).
Les gisements stratiformes cambriens d’Europe occidentale encaissés dans les calcaires du Cambrien inférieur de Sardaigne en Italie (Boni et Koeppel, 1985), des Asturies en Espagne (Tornos et al., 1996) et de Montagne Noire en France (Brévart et al., 1982), révèlent des compositions isotopiques proches, bien que Bouznika soit légèrement moins radiogénique en 206Pb/204Pb, traduisant vraisemblablement un âge légèrement plus ancien (Fig. 3).
Amas sulfurés polymétalliques des Jebilet et Guemassa
Les amas sulfurés polymétalliques à Cu-Zn-Pb de type VMS de la région de Marrakech appartiennent à deux districts : les Jebilet avec l’ancien gisement de Kettara, les gisements exploités de Draa Sfar et Koudiat Aicha et les amas de Lachach, Ben Slimane et Bouhane au nord de Marrakech, et les Guemassa au sud avec la mine de Hajar et les gîtes de Frizem, Ghoula et Taouillil reconnus par sondages (Fig. 4). Les deux districts sont encaissés dans une série volcanosédimentaire paléozoïque, les gisements étant tous liés à un épisode rhyolitique viséen daté de 331 ± 1 Ma (Marcoux et al., 2008).
Dans le gisement de Draa Sfar, les compositions isotopiques du plomb ont enregistré les empreintes de deux fluides hydrothermaux différents. Le premier fluide apporte un plomb peu radiogénique (206Pb/204Pb = 18,28 à 18,30) et forme les lentilles zincifères de Tazakourt et de Sidi M’Barek. Le second fluide a apporté un plomb radiogénique (206Pb/204Pb = 18,90) pour former la lentille cuprifère inférieure à Sidi M’Barek ainsi que son gossan de surface (206Pb/204Pb = 18,84), mais s’est mélangé avec la lentille supérieure zincifère de Sidi M’Barek donnant des compositions isotopiques du plomb intermédiaires (206Pb/204Pb = 18,58 à 18,84). Un enrichissement in situ est exclu, car les mesures de U et de Pb ont toujours montré un rapport μ faible ou très faible. Les compositions du gisement de Draa Sfar dessinent ainsi une droite de mélange entre les deux compositions isotopiques extrêmes. Tous les autres amas du district des Jebilet (Koudiat Aicha, Kettara, Lachach, Ben Slimane, Bouhane) ne livrent que la signature peu radiogénique (206Pb/204Pb = 18,28 à 18,30). Les compositions des gossans sont très proches de celle des sulfures massifs qu’ils surmontent à Lachach et Bouhane, ou avec un léger enrichissement radiogénique (Kettara), probablement dû à une contamination superficielle. Une légère contamination par le second fluide plus radiogénique peut aussi être proposée à Bouhane, mais d’autres données complémentaires sont nécessaires pour étayer cette hypothèse.
Les compositions isotopiques du plomb du district des Jebilet sont compatibles avec une source des métaux dans la croûte continentale sans contribution perceptible du manteau (Fig. 5).
Le district à amas sulfurés polymétalliques voisin des Guemassa est surtout représenté par le gisement d’Hajar et par le gîte de Frizem recoupé par sondage. Ils possèdent des compositions isotopiques légèrement mais significativement moins radiogéniques que celles de Draa Sfar (206Pb/204Pb = 18,17). La composition est, constante à l’échelle du gisement de Hajar et proche de celle des amas sulfurés de la ceinture pyriteuse sud-ibérique (206Pb/204Pb moyen = 18,18 ; Marcoux, 1998). Les autres indices du district des Guemassa (Ghoula, Taouillil, Nzalt Est) sont des gossans, dont la composition est très proche de celles des sulfures massifs, parfois légèrement enrichis en plomb superficiel radiogénique (206Pb/204Pb = 18,19 à 18,24), de la même manière que certains gossans de Frizem (Fig. 5). Il est donc très probable que ces gossans surmontent des gîtes de sulfures massifs de type Hajar.
Si l’on exclut le minerai cuprifère de Sidi M’Barek à Draa Sfar, qui relève probablement d’un épisode plus tardif, la différence isotopique entre les districts des Guemassa et des Jebilet peut refléter de légères variations dans la source des métaux, plutôt que des différences d’âges, aucun élément ne permettant de défendre l’existence de plusieurs événements rhyolitiques minéralisateurs. En dépit de caractéristiques minéralogiques, pétrologiques et chronologiques très semblables, les minerais sulfurés riches en pyrrhotite des districts de Guemassa et de Jebilet diffèreraient légèrement dans leurs sources du plomb (et probablement aussi des métaux associés : zinc, cuivre et argent).
District polymétallique de Tighza-Jebel Aouam
Dans cette région, la série paléozoïque est principalement composée d’unités de l’Ordovicien supérieur (schistes micacés, avec grès passant à des quartzites), de séquences du Silurien (métapélites et calcaires) et d’une puissante sédimentation calcaire du Dévonien inférieur et moyen, recouvertes par des grès, conglomérats et grauwackes tournaisiens, puis des calcaires et marnes bioclastiques du Viséen moyen. Un épais dépôt de flysch d’âge viséen signe la fin de la sédimentation avant la mise en place de granites d’âge permien bien établi (Marcoux et al., 2015).
Ce district est connu depuis longtemps pour ses gisements majeurs de Pb-Ag-Zn et de Sb-Ba : des grands filons de Pb-Ag-(Zn) (Signal, Ighem Ousser, Sidi Ahmed…) contiennent collectivement plus de 11 Mt de minerai, soit environ 1 Mt de Pb et plus de 1000 t d’Ag (Wadjinny, 1998). Récemment découverte dans le district, la minéralisation aurifère est principalement portée par de puissants (jusqu’à 2,5 m) filons de quartz à or-tungstène périgranitiques, distribués autour du granite de la Mine (Fig. 6) et datés entre 291,8 ± 0,3 Ma et 286 ± 1 Ma (Marcoux et al., 2015). De fortes teneurs en or associées à des sulfures As-Fe disséminés ont également été mesurées dans des skarns hydrothermaux rubanés près des deux autres petites intrusions granitiques du Kaolin et du Mispickel. Trente-deux échantillons de sulfures issus des différentes structures minéralisées, principalement de la galène, et deux feldspaths potassiques des granites de la Mine et du Mispickel ont été analysés (Marcoux et al., 2015). Ces analyses isotopiques du plomb ont été complétées par d’autres réalisées sur la galène du filon Pb-Ag-Zn du Signal (Watanabe, 2002). Les rapports isotopiques sont très dispersés (206Pb/204Pb = 18,25 à 18,90), ce qui suggère les participations de plusieurs sources de plomb en lien avec plusieurs épisodes minéralisés successifs (Fig. 7).
Les galènes des filons de quartz à W-Au et de leurs racines riches en pyrrhotite-sphalérite ont des compositions assez dispersées (206Pb/204Pb : 18,26 à 18,42), indépendantes de leur localisation, qui définissent un champ assez large. Les compositions isotopiques des disséminations As-Fe-(Au) appartiennent à ce même champ (206Pb/204Pb : 18,299 à 18,343), ce qui renforce leur parenté avec les filons de quartz W-Au (Marcoux et al., 2015). Les compositions isotopiques des sulfures du skarn à tungstène associé aux granites de la Mine et du Mispickel montrent des rapports plus radiogéniques et dispersés (206Pb/204Pb = 18,266 à 18,870), rappelant les sulfures associés aux schistes noirs ou aux calcaires (Fig. 7). Les compositions des orthoses granitiques sont proches de 18,30 (206Pb/204Pb), ce qui est identique aux valeurs des granites hercyniens (Marcoux, 1987) mais qui exclut ces granites en tant que source majeure de la minéralisation W-Au.
Les compositions isotopiques de plomb des principaux filons de Pb-Ag-Zn dessinent un champ relativement étroit (206Pb/204Pb = 18,265 ± 0,035) qui englobe les rapports les moins radiogéniques de la minéralisation W-Au (Fig. 7). Les nouvelles analyses effectuées pour cette étude sont identiques (± 3 σ) à celles publiées par Watanabe (2002) et l’ensemble des résultats dessine une courte ligne de fractionnement, les filons Pb-Ag-Zn de Sidi Ahmed formant le pôle le moins radiogénique à 18,25 (206Pb/204Pb) et 15,68 (207Pb/204Pb). Bien que ces filons soient les plus jeunes du district (254 ± 16 Ma, Rossi et al., 2017), ils possèdent les compositions les moins radiogéniques. Dans l’ensemble, les compositions isotopiques du plomb du district de Tighza possèdent des rapports 207Pb/204Pb élevés, indiquant une source dans la croûte continentale supérieure (Stacey et Kramers, 1975 ; Doe et Zartman, 1979).
Les résultats isotopiques (Pb, Sr, Nd) dans leur ensemble indiquent que les métaux ont été extraits de diverses sources, incluant les granites locaux et les roches paléozoïques environnantes (Marcoux et al., 2015). Bien que les granites ne semblent avoir joué qu’un rôle de source de plomb très mineur, ils ont constitué probablement une source majeure de W, Mo, Te, Au et Sn, illustrant un découplage dans la source des métaux. Que la contribution du socle à l’événement tungstène-or ait été le résultat d’une remobilisation par genèse de magma ou de fluides crustaux reste incertain. Cependant, la mise en place du pluton sous-jacent pourrait avoir été déclenchée par des cellules de convection mettant en mouvement un flux de fluide crustal (Eldursi et al., 2009).
District à fluorite et plomb d’El Hammam
Le gisement de fluorite d’El Hammam est situé dans la partie nord-est du massif hercynien du Maroc central (Fig. 8). La géologie de la région est dominée par les schistes et les calcaires siluriens à carbonifères, plissés au cours du Carbonifère supérieur. La minéralisation en fluorite se compose d’un ensemble de filons puissants de fluorite-calcite exploités par SAMINE depuis les années 1960 et produisant environ 100 kt/an de concentrés à 98 % de fluorite. Le gisement a longtemps été attribué à un événement hydrothermal lié à des granites tardi-hercyniens, mais a récemment été daté par K/Ar à 205 ± 1 Ma, ce qui le relie au développement des bassins contemporains du Trias et du Jurassique lors de l’ouverture de l’Atlantique (Cheilletz et al., 2010 ; Bouabdellah et al., 2016c). Pour d’autres, cette datation apparaît comme une réinitialisation du système lors du soulèvement de la Meseta (Ghorbal et al., 2008 ; Barbero et al., 2011). Les données isotopiques du plomb sont très groupées autour de 18,35 ± 0,02 (206Pb/204Pb), un rapport également mesuré sur des gossans locaux (Fig. 9). Tous les autres petits gisements voisins possèdent une composition isotopique similaire, légèrement moins radiogénique qu’à El Hammam (206Pb/204Pb ∼ 18,28), quelle que soit leur nature : filon de fluorite (Jebel Zrahina), filon de Pb (Moulay Bou Azza) ou gossan sur filon de plomb-barytine (Jebel Hadid). Seul le filon à Pb-Sb de Bou Majoun a une composition moins radiogénique. Une fois de plus, les gossans possèdent fréquemment une composition légèrement plus radiogénique que leur minerai-source. En l’absence de données isotopiques sur les roches, il n’est pas possible d’identifier les roches-sources potentielles.
Gisements du Haut-Atlas
Le domaine du Haut Atlas est un socle néoprotérozoïque, vestige du domaine de l’Anti-Atlas, recoupé par des intrusions de granodiorites du Néoprotérozoïque final, recouvert de terrains paléozoïques puis d’une couverture sédimentaire au Mésozoïque-Cénozoïque. Le Haut-Atlas a été fortement déformé depuis l’orogenèse panafricaine jusqu’au Tertiaire, élevant les terrains protérozoïques et hercyniens à plus de 4000 m.
Skarn d’Azegour
Azegour est un skarn à Mo-W-Cu développé dans les carbonates du Cambrien au contact d’un granite hercynien tardif daté par Rb/Sr à 271 ± 3 Ma. Il fut exploité pour le molybdène et le tungstène de 1932 à 1959 (Berrada et al., 2015) et a été daté récemment par Re/Os à 276,0 ± 1,2 Ma (Marcoux et al., 2019). Les compositions isotopiques initiales du plomb dans la chalcopyrite et la pyrrhotite vont de 18,08 à 18,30 (206Pb/204Pb ; Fig. 9), plus précisément de 18,13 à 18,23 dans la chalcopyrite et 18,08 à 18,30 dans la pyrrhotite (Marcoux et al., 2019). Ces résultats suggèrent que le rapport 206Pb/204Pb initial du skarn était probablement proche de 18,08–18,15. Les feldspaths du granite d’Azegour révélant un rapport 206Pb/204Pb de 18,26, le granite ne constitue pas la source principale au moins du plomb (et du soufre) dans le skarn. Des valeurs 207Pb/204Pb aussi basses (< 15,58), très rares dans les minéralisations tardi-hercyniennes de l’Europe de l’ouest, et uniques dans les événements tardi-hercyniens du Maroc, indiquent la participation notable d’une source mantellique, non identifiée à l’heure actuelle.
Gisement d’Assif el Mal
Le district à Zn-Pb-(Cu-Ag) d’Assif El Mal, situé au sud d’Azegour et à proximité de l’ancienne mine d’Erdouz sur le flanc nord du Haut Atlas de Marrakech, est encaissé dans une séquence métavolcanoclastique et métasédimentaire cambro-ordovicienne composée de métagrauwackes, métapélites et schistes interstratifiés avec de rares métatufs, et recoupée par des granitoïdes peralumineux tardi- à post-Hercynien. Les roches paléo-néoprotérozoïques sont cachées dans le district d’Assif El Mal, mais affleurent dans le sud-est environnant sous forme de petites boutonnières (Bouabdellah et al., 2009). Les compositions isotopiques du plomb sont assez homogènes (206Pb/204Pb = 18,13 à 18,20) et se situent entre les courbes orogène et croûte continentale supérieure de Doe–Zartman (1982) (Fig. 9). Cette composition est compatible avec une source dans la croûte supérieure, les fluides hydrothermaux lessivant les métaux de la séquence métavolcanoclastique et métasédimentaire cambro-ordovicienne immédiate et/ou du socle paléo-néoprotérozoïque sous-jacent. Il n’y a pas de participation mantellique comme dans le gisement voisin d’Azegour.
District de Bou Dahar
Le district de Bou Dahar, dans le Haut-Atlas oriental, regroupe plusieurs gisements de Pb-Zn-Ba portés par des carbonates du Lias inférieur à moyen, principalement stratifiés, mais associés localement à des gisements de type filonien (Rddad et Bouhlel, 2016). Les compositions isotopiques du plomb varient de 18,12 à 18,18 (206Pb/204Pb), avec un rapport 207Pb/204Pb de 15,63, indiquant une source et une évolution dans une croûte supérieure continentale (Fig. 9). En l’absence de données isotopiques sur les roches, il est difficile de préciser si cette source est identique à celle proposée à Assif El Mal, à savoir la séquence cambro-ordovicienne, ou si les carbonates du Lias ont participé à ce rôle.
Gisements du Moyen Atlas et de la Meseta d’Oran
Cette partie orientale du Maroc est composée d’épaisses formations carbonatées mésozoïques et cénozoïques, divisées en deux zones structurales : une zone plissée impliquée dans la tectonique précoce des Alpes (le Moyen Atlas et une partie méridionale et centrale du Haut Atlas), et une zone tabulaire dans la partie orientale (le « Pays des horsts » et des hauts plateaux).
Haute Moulouya : gisements d’Aouli–Mibladen–Zeïda
La région de la Haute-Moulouya possède trois types principaux de minerais plombifères : (1) des gisements filoniens de type Aouli situés dans le socle hercynien, (2) une minéralisation encaissée dans des grès du Trias à Zeïda, et (3) une minéralisation karstique et carbonatée du type Mississippi Valley à Mibladen, dans la couverture mésozoïque.
La galène de ces gisements définit un champ isotopique restreint allant de 18,11 à 18,27 (206Pb/204Pb), de 15,60 à 15,64 (207Pb/204Pb) et de 38,24 à 38,58 (208Pb/204Pb) (Jébrak et al., 1998 ; Fig. 10). Deux groupes peuvent être distingués sur un diagramme 206Pb/204Pb versus207Pb/204Pb : (1) Les filons d’Aouli et les arkoses minéralisées de Zeïda montrent des valeurs de 206Pb/204Pb groupées entre 18,11 et 18,25 ; et (2) le gisement de Mibladen des valeurs 206Pb/204Pb légèrement supérieures (> 18,26). Sur un diagramme 206Pb/204Pb versus208Pb/204Pb, les résultats se positionnent un peu au-dessus de la courbe de référence de Stacey–Kramers (1975), ce qui implique une évolution isotopique dans une croûte continentale relativement standard telle que définie par ces auteurs.
Les compositions des feldspaths potassiques sont nettement moins radiogéniques que celles des galènes, allant de 17,94 à 18,08 (206Pb/204Pb), de 15,51 à 15,585 (207Pb/204Pb) et de 37,78 à 38,15 (208Pb/204Pb). Néanmoins, si on considère la composition globale du granite d’Aouli vers 230–180 Ma, il pourrait constituer la principale source de plomb du district de la Haute-Moulouya comme suggéré par certains auteurs (Emberger, 1965 ; Schmitt 1976) à la condition que les gisements se soient formés avant 180 Ma (Fig. 10). Une source complémentaire de plomb, à rechercher dans les roches hautement radiogéniques de la croûte précambrienne, reste cependant nécessaire pour expliquer les rapports 208Pb/204Pb et 207Pb/204Pb. Ces roches sont bien connues plus au sud dans le domaine saharien et peuvent constituer une grande partie du socle continental sous-jacent dans cette zone, comme l’indiquent les données géologiques et sismiques (Makris et al., 1985 ; Jacobschagen et al., 1988).
Cette interprétation est conforme aux données de terrain qui suggèrent également deux événements métallogéniques à cette époque dans le district de Haute Moulouya : un précoce du Trias supérieur au Jurassique inférieur dans le district d’Aouli et probablement de Zeïda, associé à l’ouverture du bassin de l’Atlas, et un second plus tardif, probablement du Jurassique moyen à supérieur, pour le gisement de type Mississippi Valley de Mibladen. Globalement, les similitudes entre les isotopes de plomb d’Aouli–Zeïda et de Mibladen suggèrent que ce dernier gisement pourrait résulter pour l’essentiel d’une remobilisation de minéralisation similaire à celle d’Aouli–Zeïda.
District de Touissit–Bou Beker–El Abed
Les gisements Pb-Zn de type Mississippi Valley de ce district sont encaissés dans une épaisse séquence de roches dolomitisées par hydrothermalisme vers 170 Ma, à l’Aalénien-Bajocien, appartenant à la plateforme carbonatée jurassique de la « Chaîne des Monts », une ceinture atlasique du nord-est du Maroc et du nord-ouest de l’Algérie (Bouabdellah et al., 2012). Les sulfures sont principalement de la galène et de la sphalérite, encaissés par cinq types de dolomies. C’est un district majeur du type Mississippi Valley (MVT) avec plus de 70 Mt (production + réserves) à une teneur moyenne de 4 % Pb, 3,5 % Zn et 120 g/t d’Ag, qui comprend de grands gisements (aujourd’hui épuisés) comme Touissit, Mekta, Bou Beker, Beddiane et Sidi Ameur au Maroc, et El Abed en Algérie.
Les compositions isotopiques du plomb des galènes sont regroupées et très homogènes (206Pb/204Pb = 18,319 à 18,390, 207Pb/204Pb = 15,620 à 15,680, 208Pb/204Pb = 38,452 à 38,650), quel que soit le type de dolomie encaissante (Bouabdellah et al., 2012 ; Fig. 10). Elles définissent un « trend » linéaire attribué par les auteurs à un biais de fractionnement analytique. Les compositions s’accordent avec l’hypothèse que le plomb provient principalement de la rhyodacite viséenne et des roches volcaniques associées. Une contribution du conglomérat basal du Jurassique inférieur et du grès contenant des fragments de rhyodacite ou de feldspath potassique n’est pas exclue.
Le lien entre les failles majeures et la minéralisation suggère que les saumures minéralisées ont emprunté des failles régionales ENE et des failles locales NO-SE, et des auteurs envisagent une mise en place des minéralisations très récente, à la fin du Néogène-Quaternaire, en réponse à la collision entre les plaques africaine et eurasienne (Bouabdellah et al., 2012).
Gîtes du Rif
Le Rif est constitué d’une zone interne, liée à la plaque d’Alboran et composée des principales unités sédimentaires et magmatiques du Mésozoïque, d’une zone de flysch, et d’une zone externe à puissantes unités mésozoïques et cénozoïques (Michard et al., 2011). Parallèlement au magmatisme néogène, de nombreux petits gisements polymétalliques (Pb-Zn-Hg-Cu-Ag-Au) sont disséminés depuis la mer d’Alboran jusqu’au nord de la Tunisie. Des études isotopiques ont été réalisées sur ceux de la péninsule de Melilla-Nador (filons épithermaux Pb-Ag d’Afra et de Jbel Ouiksane), encaissés dans des schistes crétacés, et du filon Pb-Ba de Mina Rosita, dans une boutonnière paléozoïque proche du Cap des Trois Fourches (Lebret, 2014).
Les compositions isotopiques des galènes sont radiogéniques et très homogènes malgré la diversité des roches hôtes (206Pb/204Pb = 18,77 ± 0,01), une homogénéité qui suggère un événement hydrothermal unique ayant sollicité une même source (Fig. 10). Les résultats suggèrent aussi un lien génétique avec le magmatisme potassique du Miocène supérieur (7,58 à 4,8 Ma) du stratovolcan voisin, le Gourougou, particulièrement avec la diorite de Ouiksane (Duggen et al., 2005).
Discussion
L’ensemble des données précédentes montre une grande variabilité des signatures isotopiques du plomb à l’échelle du district comme à l’échelle globale des gisements miniers marocains (Fig. 11). La composition la moins radiogénique a été mesurée dans le dépôt de Bou Skour dans Anti-Atlas (206Pb/204Pb = 17,738, 207Pb/204Pb = 15,523, 208Pb/204Pb = 37,616 et les plus radiogéniques dans l’amas sulfuré polymétallique de Draa Sfar (206Pb/204Pb = 18,905 et 207Pb/204Pb = 15,701), en tenant compte du fait que plusieurs échantillons présentant un enrichissement radiogénique in situ évident (206Pb/204Pb > 19) ont été écartés. D’un point de vue global, on peut distinguer trois générations de plomb incorporées successivement dans le socle géologique marocain par le magmatisme et/ou l’hydrothermalisme associé (Fig. 11). Ces trois générations sont caractérisées par leurs rapports 206Pb/204Pb : 17,74–17,90 pour le plomb « panafricain », 18,10–18,40 pour le plomb « hercynien », et 18,75–18,90 pour le plomb « alpin ». Bien que dominantes, elles n’excluent pas des reprises mineures entre les orogènes à la faveur d’événements hydrothermaux locaux.
Plomb panafricain : Anti-Atlas précambrien et Meseta
Le plomb panafricain est caractérisé par des rapports isotopiques bas (206Pb/204Pb : 17,74–17,90, 207Pb/204Pb : 15,52–15,575 et 208Pb/204Pb : 37,60–37,82) qu’on rencontre essentiellement dans les gisements de l’Anti-Atlas (Fig. 12), une région qui enregistre l’évolution complexe de la marge du craton ouest-africain. Les terrains panafricains du Gondwana jouent un rôle majeur de source du plomb et des métaux associés (Fig. 11). La majorité des rapports isotopiques se situe sous la courbe de Stacey–Kramers ce qui dénote une forte participation mantellique, sauf à Zgounder où cette participation fut beaucoup plus limitée.
Les compositions les moins radiogéniques (206Pb/204Pb de 17,74–17,78 à Bou Skour) correspondent à un plomb d’environ 550–600 Ma. Cet âge correspond à l’important volcanisme felsique édiacarien/terreneuvien à la fin du Précambrien, élément du groupe de Ouarzazate, une séquence de roches volcanoclastiques subaériennes d’une puissance allant jusqu’à 2500 m. L’âge de cet événement magmatique se situe entre 577 et 560 Ma mais débute plus tôt dans le Sirwa avec le granite de Mzil (614 ± 10 Ma). Ce volcanisme partage tous les caractères d’un Silicic Large Igneous Province (SLIP ; Bryan, 2007). Les SLIP se caractérisent par un volcanisme continental felsique. Ils sont d’affinité alcaline, et très volumineux, d’un ordre de grandeur supérieur à celui des roches siliceuses d’arcs. Les SLIP du Protérozoïque tardif au Phanérozoïque se situent le long de la marge continentale et le groupe de Ouarzazate s’est effectivement mis en place en contexte d’extension, préfigurant l’ouverture du bassin de l’Adoudounien (Gasquet et Cheilletz, 2009 ; Karaoui et al., 2014 ; Tuduri et al., 2018). Un tel volume de roches felsiques nécessite l’intrusion de magmas basaltiques produisant une fusion partielle de la croûte terrestre sus-jacente (Bryan et Ferrari, 2013). Cet événement magmatique majeur a introduit sur la marge nord du Gondwana de grandes quantités de plomb peu radiogénique (206Pb/204Pb vers 17,74–17,90) qui se retrouve dans les manifestations hydrothermales associées de l’Anti-Atlas : Imiter (550 ± 3 Ma), Zgounder (564 ± 15 Ma), Bou Skour (574 ± 2,4 Ma). La composante mantellique peut être héritée de l’intrusion des magmas basaltiques mentionnée, ou plus directement, par le lessivage de roches mafiques par les fluides hydrothermaux.
Ce magmatisme partage de nombreux caractères communs avec le magmatisme de type A tel qu’impliqué dans le modèle de Sawkins (1989) en Australie : aussi bien à Broken Hill (supergroupe de Willyama) que dans le district de Mount Isa-Mc Arthur, il s’agit d’un volcanisme potassique subalcalin différencié mis en place dans un contexte extensif (Ravegi et al., 2007). On le connait également dans la Province protérozoïque de Grenville en Amérique du Nord et au Namaqualand en Afrique australe au voisinage de gisements de plomb géants (Sawkins, 1989). Dans ce contexte, le plomb est facilement incorporé dans le feldspath potassique (Finger et Schiller, 2012). Le feldspath potassique peut ainsi constituer un stock de plomb susceptible d’être remobilisé pour alimenter des minéralisations plus récentes.
L’origine de ces volumes très importants de roches ignées et des sédiments détritiques reste cependant discutée, entre une mise en place dans l’arrière-arc d’une subduction lointaine et une association plus directe avec un panache mantellique faisant fondre une croûte continentale déjà épaisse (SLIP ; Bryan, 2007). Les travaux actuels s’orientent vers la fusion d’un manteau lithosphérique sous-continental (SCLM) métasomatisé par les fluides issus d’une plaque en subduction (Holwell et al., 2019).
Le gisement cambrien de Bouznika, dans la Meseta, possède une signature isotopique légèrement plus élevée en 207Pb/204Pb ce qui suggère que cet hydrothermalisme fini-Panafricain a largement débordé vers le nord, témoignant de la grande ouverture océanique cambrienne, ce qui s’est traduit par une participation crustale plus marquée.
Plomb hercynien : de l’Anti-Atlas aux mesetas
Le plomb « hercynien » (206Pb/204Pb : 18,10–18,40, 207Pb/204Pb : 15,59–15,70 et 208Pb/204Pb : 38,15–38,65), appelé ainsi car cette gamme de compositions est la plus commune dans les minéralisations hercyniennes, est le plus représenté dans les gisements étudiés (Fig. 12). Il est présent dans les gîtes de la Meseta (Jebilet et Guemassa), le Maroc central (Tighza, El Hammam), le Moyen-Atlas (Aouli–Mibladen, Touissit–Bou Beker), mais également dans le Haut-Atlas (Azegour, Assif el Mal) et l’Anti-Atlas où il se mélange au plomb panafricain. L’orogenèse hercynienne constitue un vecteur du plomb hercynien dans tout le domaine marocain jusqu’au craton ouest africain qui va largement se mélanger au plomb panafricain dans l’Anti-Atlas.
Ce plomb hercynien est proche des courbes orogène et croûte supérieure de Doe–Zartman (1979 ; Fig. 11), ce qui traduit une source dans la croûte supérieure continentale et une rupture définitive dans la source du plomb qui sera dès lors exclusivement crustale, sauf sur la bordure anti-atlasique (Azegour). Il possède la particularité de se retrouver dans des gisements d’âges très variés (331 Ma à Draa Sfar, moins de 170 Ma à Touissit), ce qui indique que cette source évolue globalement peu d’un point de vue isotopique. La source de ce plomb est à rechercher dans les terrains hercyniens sensu lato, formés par une importante fusion crustale vers 330 Ma qui recycle en partie le plomb commun des roches phanérozoïques et protérozoïques, collecte et s’enrichit du plomb radiogénique produit dans ces mêmes terrains par désintégration de l’uranium et du thorium. Les événements hydrothermaux, soit associés à ce magmatisme, comme les amas sulfurés des Jebilet et Guemassa ou les filons à tungstène-or de Tighza, soit postérieurs, comme les filons à fluorite (El Hammam) ou à plomb-zinc (toujours à Tighza), vont collecter leur charge métallique auprès de ces mêmes terrains, dont la diversité lithologique implique des variations isotopiques. Le plomb hercynien est un « stock » dans lequel les fluides hydrothermaux postérieurs pourront se fournir.
Amas sulfurés des Jebilet-Guemassa
Les amas sulfurés carbonifères de type VMS des Jebilet et Guemassa, possèdent des signatures isotopiques identiques à leurs équivalents des Hercynides européennes et notamment aux amas sulfurés de la ceinture pyriteuse sud-ibérique, l’Iberian Pyrite Belt, toutes montrant une source des métaux dans la croûte supérieure (Marcoux, 1998). Cependant, si la ceinture pyriteuse sud-ibérique se caractérise par une homogénéité isotopique remarquable, c’est tout le contraire dans les Jebilet-Guemassa, où les signatures varient fortement, à l’échelle du gisement et à l’échelle régionale. Les deux districts voisins des Jebilet et des Guemassa montrent en effet des variations significatives (206Pb/204Pb = 18,29 et 18,17, respectivement). Bien que ces deux districts soient très semblables et appartiennent au même bassin marin volcanosédimentaire au volcanisme similaire, il faut admettre une segmentation de ce bassin qui modifie partiellement les sources d’alimentation des fluides hydrothermaux, empêchant une homogénéisation comme celle qui s’est produite en ceinture pyriteuse sud-ibérique. Bien que les données isotopiques du plomb pour les roches encaissantes régionales ne soient pas disponibles, on peut noter que les roches magmatiques dinantiennes de la ceinture pyriteuse sud-ibérique proche, également porteuse de gisements majeurs de type VMS, possèdent une signature peu radiogénique identique (206Pb/204Pb = 18,28 ; Marcoux, 1998). À l’échelle du gisement, les variations de composition isotopique à Draa Sfar sont d’une ampleur très supérieure à celles mesurée dans les gisements miocènes de type VMS des Kuroko (environ 0,73 contre 0,10 pour 206Pb/204Pb ; Sato, 1975 ; Fehn et al., 1983). Une variation aussi importante implique la contribution de plombs issus de deux sources très différentes : le plomb hercynien, et très probablement le plomb alpin que nous allons aborder plus loin.
Meseta et Haut-Atlas
Les gisements périplutoniques d’Azegour et Assif El Mal dans le district du Haut Atlas, et de Tighza présentent des signatures isotopiques différentes mais compatibles avec une source hercynienne. Une source granitique peut être écartée dans les deux gisements de molybdène-tungstène d’Azegour et de tungstène-or de Tighza ; toutefois, à Azegour, les faibles rapports 207Pb/204Pb (15,55 à 15,58) indiquent une participation mantellique. De plus, les systèmes de filons Pb-Zn-Ag de Tighza et d’Aouli, ou le filon de fluorite d’El Hammam, ne montreraient aucun lien chronologique avec un magmatisme actif et marquent probablement la lixiviation de l’encaissant synchrone d’un soulèvement tardif du système. On peut raisonnablement penser que l’essentiel du plomb est extrait des roches encaissantes et non du système plutonique.
Moyen-Atlas et Meseta oranaise
Les rapports 207Pb/204Pb presque identiques des trois districts de Bou Dahar, Mibladen et Touissit–Bou Beker et leur valeur moyenne proche de 15,60 sont l’indication d’un même plomb hercynien issu de la croûte continentale supérieure. Cependant, les valeurs 206Pb/204Pb varient de 18,12 à 18,18 à Bou Dahar, de 18,15 à 18,27 à Mibladen et de 18,31 à 18,39 dans le district de Touissit–Bou Beker, pour des circulations hydrothermales diachrones. La métallogénie de l’Atlas est donc marquée par plusieurs épisodes hydrothermaux, allant du Permo-Trias à l’Actuel (Bouabdellah et al., 2012, 2015), le plus ancien s’exprimant dans le district d’Aouli–Mibladen probablement au Permo-Trias (Margoum et al., 2015), toutes remobilisant le plomb hercynien. En comparant aux données existantes sur les grands gisements du sud de l’Europe (Arribas et Tosdal, 1994), on remarque que les signatures isotopiques d’Aouli–Zeïda sont semblables à celles d’un groupe de gisements à zinc-plomb-fluorite-(barytine), majoritairement stratiformes, encaissés dans le Trias, tels que Gador (Espagne), Les Malines (France), Bleiberg et Lafatsch (Autriche), Salafossa, Gorno et Raible (Italie). Les minéralisations situées près de la côte méditerranéenne sont les plus jeunes, un fait à relier avec la crise de salinité messinienne et la circulation d’eaux de mer évoluées qui ont favorisé la mobilisation de saumures anciennes stockées dans le socle paléozoïque (Bouabdellah et al., 2016a, 2016b, 2016c). Les isotopes du plomb reflètent donc la mobilisation progressive des saumures vers le socle crustal marocain.
Anti-Atlas et héritage panafricain
Bou Skour et Bou Azzer dans l’Anti-Atlas, présentent des compositions trop radiogéniques pour leur âge, proche de la signature isotopique « hercynienne » par ses rapports 206Pb/204Pb (18,10–18,20), mais plus éloignée par les valeurs de 207Pb/204Pb (15,53–15,59) que l’on interprète comme un mélange entre le plomb panafricain et le plomb hercynien, plus radiogénique car ayant collecté du plomb radiogénique formé dans les roches pré-hercyniennes. Les trois valeurs très radiogéniques d’Imiter pourraient aussi résulter de l’infiltration de ce plomb hercynien. L’hydrothermalisme hercynien s’est donc manifesté aussi dans l’Anti-Atlas, le plomb (et les autres métaux) de cet événement pouvant atténuer, voire effacer, la signature isotopique panafricaine, ou s’y superposer. Ce reset peut expliquer les âges hercyniens mesurés à Bou Azzer (Oberthür et al., 2009). Dans la boutonnière de Bou Azzer–El Graara, la période hercynienne se marque en effet par une réactivation importante des failles, responsables de l’établissement d’un zonage redox le long des failles tardives (Maacha, 2013). Cet épisode cassant pourrait être lié à la formation des boutonnières, par bombement du socle et plissement autour des zones de soulèvement.
Plomb alpin
Le plomb « alpin » est le plus radiogénique (206Pb/204Pb : 18,75–18,90, 207Pb/204Pb : 15,65–15,70 et 208Pb/204Pb : 38,85–39,70) défini autour des minéralisations alpines de la région de Nador dans le Rif, ce qui suggère fortement une mise en place assez récente. C’est aussi le plus rare : on ne le rencontre que dans le Rif dans la région de Nador, et sporadiquement dans les districts des Jebilet (minerai cuprifère de Sidi M’Barek à Draa Sfar) et le skarn de Tighza où il donne lieu à des mélanges avec le plomb hercynien. On remarque que ces sites à plomb alpin jalonnent le corridor sous-lithosphérique trans-Atlasique qui prend le Maroc en écharpe d’Agadir à Oujda et marque le passage d’un panache mantellique né aux Canaries (Bouabdellah et al., 2015) (Fig. 12). Ce panache à l’origine du magmatisme néogène (44 à 2 Ma) a donc également joué un rôle métallogénique qui s’étend largement hors du Maroc donnant notamment des minéralisations épithermales néogènes en Espagne méridionale (Rodalquilar). Si cette hypothèse est validée, le minerai cuprifère de Sidi M’Barek à Draa Sfar serait très récent. Ce magmatisme a aussi pu jouer le rôle de moteur thermique pour la mise en place des minéralisations du district de Touissit, remobilisant le plomb hercynien du socle, sans apport visible de plomb alpin. Ce modèle appuie l’hypothèse d’une mise en place récente de ces minéralisations (Bouabdellah et al., 2012).
Isotopes du plomb appliqués à l’exploration minière
La géochimie isotopique du plomb est une méthode employée en exploration minière pour hiérarchiser les cibles, sous le nom de fingerprint method (Doe et Stacey, 1974 ; Gulson 1986). Cette méthode repose sur une démarche analogique. Les gisements d’une province donnée appartiennent fréquemment à un type métallogénique défini d’un âge donné et possèdent de ce fait une signature isotopique du plomb spécifique. Les indices en cours de reconnaissance minière qui possèdent cette même signature ont de bonnes chances d’appartenir à cette famille de gisements et sont donc à explorer en priorité car les plus prometteuses. Cette démarche de sélection peut s’étendre aux gossans, la signature des minéralisations sous-jacentes se transférant aux gossans de surface sans perturbation ou avec des perturbations minimes, comme cela avait déjà été montré dans les amas sulfurés de Sud-Ibérie (Marcoux, 1998) et dans ceux des Red Sea Hills au Soudan (Marcoux et al., 1989). Cette démarche a aussi été employée pour tracer des minéralisations porphyriques cachées sous une couverture de toundra et de sédiments glaciaires dans le district de Pebble en Alaska (Ayuso et al., 2013).
C’est cette méthode sur gossans qui a été employée ici dans le district à amas sulfurés polymétalliques des Jebilet-Guemassa. Nous avons pu analyser les paires sulfures – gossans à Bouhane, Lachach, Frizem et Draa Sfar et montrer que la signature isotopique des sulfures massifs sous-jacents se transmettait très bien aux gossans de surface. Ce résultat suggère très fortement que les sites de Ghoula, Nzalt Est et Taouillil, dans les Guemassa, qui possèdent des gossans de compositions très proches de celle de Hajar (206Pb/204Pb = 18,19 à 18,24), chapeautent des amas de sulfures massifs, dont l’importance reste cependant à établir. Ces résultats très concluants montrent que cette méthode pourrait être employée à grande échelle dans les Jebilet-Guemassa pour aider à hiérarchiser les cibles minières et se focaliser sur les cibles de type amas de sulfures massifs qui ont largement démontré leur intérêt économique.
Conclusion
Trois plombs différents ont été définis dans l’ensemble des gisements marocains. Ils peuvent être définis par leurs rapports 206Pb/204Pb de 17,74–17,90 (plomb panafricain), 18,10–18,40 (plomb hercynien) et 18,75–18,90 (plomb alpin).
Le plomb panafricain représente la première introduction de plomb dans la croûte supérieure, transporté hors du manteau lors de la formation de Silicic Large Igneous Provinces (SLIP) au Protérozoïque supérieur, représenté par le groupe de Ouarzazate. Sa signature mantellique signe la première introduction de plomb sur la marge nord-africaine vers 600 Ma.
Le plomb hercynien représente une nouvelle génération de plomb lors de l’orogène hercynien collecté dans les terrains de la croûte continentale supérieure. Sollicité par des événements hydrothermaux à diverses époques géologiques, ce plomb hercynien nourrit des minéralisations du Carbonifère jusqu’au Jurassique. Il a pu être stocké dans les bassins détritiques avant reprise inter-orogénique.
Le plomb alpin est plus rare et plus localisé. Il couvre néanmoins une large surface qui forme une écharpe du sud-ouest au nord-est du Maroc, jalonnée par le magmatisme néogène, quelques minéralisations associées et des remobilisations locales. Ce magmatisme a pu aussi remobiliser le réservoir de plomb hercynien, notamment dans le district de Touissit–Bou Beker.
Il est ainsi possible de reconstruire l’histoire de la mobilisation des sources de plomb au cours des trois différents orogènes, panafricain, hercynien et alpin, étapes clefs de la croissance crustale sur la marge du craton Ouest-africain. La mobilisation de plomb est bien plus forte lors des deux premiers orogènes, et il est tentant d’établir un parallèle avec leurs taux de fusion et de granitisation, forts au Protérozoïque et à l’Hercynien, bien plus faible dans l’Alpin du Maroc. Bien qu’un lien direct puisse être établi avec les magmatismes pour certains gisements (Jebilet-Guemassa, Bou Skour…) leurs rôles comme moteur ou comme réservoirs de plomb sont loin d’être systématiques. La genèse de nombreuses minéralisations relève davantage de circulations fluides de grande ampleur, déconnectées de systèmes magmatiques (Touissit, El Hammam, Tighza pro parte) mais s’approvisionnant dans des réservoirs de métaux régulièrement réapprovisionnés lors des orogènes).
La genèse des gisements de plomb géants au Protérozoïque a été mise en relation avec l’intense mobilisation crustale lors de la formation du continent Nuna, la stabilisation de la lithosphère et l’ouverture de grands bassins au début du Mésoprotérozoïque (Sawkins, 1989 ; Hawkesworth et al., 2020). La construction continentale sur la marge nord du craton ouest-africain démarre un milliard d’années plus tard avec la formation du Gondwana, un continent à forte épaisseur crustale et largement émergent au-dessus du niveau de la mer (Traintafyllou et al., 2020). Le stock de plomb des formations volcaniques panafricaines devient alors plus facilement accessible et sera essentiel au Maroc. Mais il n’est pas le seul : le plomb hercynien arrive dans la croûte lors de l’orogène hercynien, la fusion et les circulations fluides liées à l’orogène collectant le plomb commun des roches anté-hercyniennes et le plomb radiogénique qui s’y est ajouté depuis l’orogène panafricain, auxquels peut s’ajouter une composante de vrai plomb « nouveau », d’origine mantellique. Ce plomb hercynien est donc une moyenne de toutes ces sources qui va se retrouver dans les magmas et les concentrations minérales hercyniens. Il pourra ensuite être remobilisé dans du magmatisme, des minéralisations plus récentes, et dans des réservoirs secondaires sédimentaires à la faveur de circulations hydrothermales qui vont s’étager jusqu’à l’Actuel, réalimenté très ponctuellement par le plomb alpin. Les remobilisations successives du plomb stocké dans les réservoirs secondaires ont déterminé des phénomènes d’héritage de grande ampleur à l’échelle du Maroc. Le plomb des minéralisations du Maroc apparait comme un marqueur significatif de la construction crustale su Nord-Ouest de l’Afrique depuis le Néoprotérozoïque.
Remerciements
Les auteurs remercient tous leurs collègues géologues marocains pour leur aide sur le terrain et les nombreuses discussions fructueuses que nous avons eues, notamment Mohammed Bouabdellah, professeur de métallogénie à l’université d’Oujda. Un grand merci aux trois relecteurs, trois spécialistes aux compétences complémentaires en géochimie isotopique du plomb, ressources minérales et métallogénie-géologie marocaine, ont permis d’améliorer sensiblement le manuscrit par leurs remarques très constructives.
Citation de l’article : Marcoux É, Jébrak M. 2021. Plombotectonique des gisements du Maroc, BSGF - Earth Sciences Bulletin 192: 31.